Les
mélodies et les oeuvres chantées de Francis Poulenc
Les textes de ces mélodies
sont libres de droits à mon avis. Si l'un de ces textes devait
être protégé, prière de me le faire savoir
(adresse sur la page principale) pour que je puisse l'enlever. Je ne
sais pas ce qu'il en est du texte de commentaire, il est
présenté là à des fins éducatives
pour situer l'oeuvre, et extrait soit du Journal de mes mélodies
(édité par Cicero / Salabert), soit de A bâtons rompus
(entretiens radiophoniques, édité par Actes Sud). La
même remarque s'applique donc.
Le choix des textes proposés s'appuie sur l'adéquation
entre la mélodie et le texte (très important en musique
française), la beauté de la musique ou celle du texte.
Interprétation proposée : celle de Bernac avec Poulenc
bien sûr en général, celle de Paul Derenne avec
Henri Sauguet pour Toréador.
1) Deux poèmes de Louis
Aragon (1897-1982 ; )
1.1) Commentaire de Francis
Poulenc
A la suite du Festival de mes mélodies, F(red) G(oldbeck) m'a
reproché d'avoir transposé le poème d'Aragon "C"
dans une atmosphère à la Devéria. Aurait-il fallu
que je prenne la palette de Delacroix pour traduire ces vers, beaucoup
plus près de Musset que de Baudelaire ? Je crois que c'est moi
qui suis dans le vrai. Quand on met en musique un texte, on le
pèse tant de fois qu'on en connaît vite la densité
exacte.
"C" est un poème dont l'extrême mélancolie vient
d'une grande finesse de touche :
"Une chanson du temps passé
Parle d'un chevalier blessé
D'une prairie où vient danser
Une éternelle fiancée..."
C'est ravissant, doucement émouvant, mais qu'on songe au ton
d'Eluard dans Figure humaine :
"De tous les printemps du monde
Celui-ci est le plus laid"
(Tout de suite, on range Aragon dans les poids-plume (je parle d'Aragon
poète).) Je n'ai pas la prétention de résoudre
musicalement les problèmes poétiques par l'intelligence (les voix du coeur et
de l'instinct sont plus sûres), mais on imagine bien qu'avant
d'écrire une mélodie ((fusse-t-elle ratée par la
suite)), je me pose avant tout le problème de la couleur
générale.
L'accompagnement de "C" est très difficile à cause du jeu
des pédales et des batteries de croches difficiles à
estomper.
Il faut l'interpréter avec poésie, c'est là tout
le secret.
On imagine ce qu'un Gieseking aurait pu faire.
"Fêtes Galantes". J'ai peur qu'on ne sente plus le
côté voulu de
cette musique de "prix unique".
Il me semble, pourtant, que c'est le ton qui convient au cynique
poème d'Aragon. C'est une musique de mouïse, pour un temps
de mouïse : Paris pendant l'occupation. (Ce qui me surprend, et
m'émeut d'ailleurs, c'est l'extrême compréhension
que ces deux mélodies ont rencontré à
l'étranger. "C" est peut-être ma mélodie la plus
connue à l'heure actuelle en Angleterre et en Belgique. Tout ceci
prouve qu'on aime encore la France et qu'on la plaint.)
1.2) C (1943)
J'ai traversé les ponts de Cé
C'est là que tout a commencé
Une chanson des temps passés
Parle d'un chevalier blessé
D'une rose sur la chaussée
Et d'un corsage délacé
Du château d'un duc insensé
Et des cygnes dans les fossés
De la prairie où vient danser
Une éternelle fiancée
Et j'ai bu comme un lait glacé
Le long lai des gloires faussées
La Loire emporte mes pensées
Avec les voitures versées
Et les armes désamorcées
Et les larmes mal effacées
O ma France ô ma délaissée
J'ai traversé les ponts de Cé
1.3) Fêtes galantes
(1943)
On voit des marquis sur des bicyclettes
On voit des marlous en cheval jupon
On voit des morveux avec des voilettes
On voit des pompiers brûler les pompons
On voit des mots jetés à la voirie
On voit des mots élevés au pavois
On voit les pieds des enfants de Marie
On voit le dos des diseuses à voix
On voit des voitures à gazogène
On voit aussi des voitures à bras
On voit des lascars que les longs nez gênent
On voit des coïons de dix-huit carats
On voit ici ce que l'on voit ailleurs
On voit des demoiselles dévoyées
On voit des voyous, on voit des voyeurs
On voit sous les ponts passer des noyés
On voit chômer les marchands de chaussures
On voit mourir d'ennui les mireurs d'oeufs
On voit péricliter les valeurs sûres
Et fuir la vie à la six-quartre-deux.
2) La Dame de Monte-Carlo
(1961 - Texte de Louis Aragon)
Quand on est morte entre les mortes,
Qu'on se traîne chez les vivants,
Lorsque tout vous flanque a la porte
Et la ferme d'un coup de vent,
Ne plus être jeune et aimée...
Derrière une porte fermée,
Il reste de se ficher à l'eau
Ou d'acheter un rigolo.
Oui Messieurs, voilà ce qui reste
Pour les lâches et les salauds.
Mais si la frousse de ce geste
S'attache à vous comme un grelot,
Si l'on craint de s'ouvrir les veines,
On peut toujours risquer la veine
D'un voyage à Monte-Carlo.
Monte-Carlo, Monte-Carlo.
J'ai fini ma journée.
Je veux dormir au fond de l'eau.
De la Mediterranée.
Après avoir vendu votre âme
Et mis en gage des bijoux
Que jamais plus on ne réclame,
La roulette est un beau joujou.
C'est joli de dire: "je joue".
Cela vous met le feu aux joues
Et cela vous allume l'oeil.
Sous les jolis voiles de deuil
On porte un joli nom de veuve.
Un titre donné de l'orgueil!
Et folle, et prête, et toute neuve,
On prend sa carte au casino.
Voyez mes plumes et mes voiles,
Contemplez le strass de l'étoile
Qui me mène à Monte-Carlo.
La chance est femme.
Elle est jalouse
De ces veuvages solennels.
Sans doute elle m'a cru l'épouse
D'un véritable colonel.
J'ai gagné, gagné sur le douze.
Et puis les robes se décousent,
La fourrure perd ses cheveux.
On a beau répéter: "je veux",
Dès que la chance vous déteste,
Dès que votre coeur est nerveux,
Vous ne pouvez plus faire un geste,
Pousser un sou sur le tableau
Sans que la chance qui s'écarte
Change les chiffres et les cartes
Des tables de Monte-Carlo.
Les voyous, les buses, les gales!
Ils m'ont mise dehors... dehors...
Et ils m'accusent d'être sale,
De porter malheur dans leurs salles,
Dans leurs sales salles en stuc.
Moi qui aurais donné mon truc
A l'oeil, au prince, à la princesse,
Au Duc de Westminster, au Duc,
Parfaitement.
Faut que ça cesse,
Qu'ils me criaient, votre boulot!
Votre boulot!...
Ma découverte.
J'en priverai les tables vertes.
C'est bien fait pour Monte-Carlo.
Monte-Carlo.
Et maintenant, moi qui vous parle,
Je n'avouerai pas les kilos
Que j'ai perdus à Monte-Carle,
Monte-Carle ou Monte-Carlo.
Je suis une ombre de moi-même...
Les martingales, les systèmes
Et les croupiers qui ont le droit
De taper de loin sur vos doigts
Quand on peut faucher une mise.
Et la pension ou l'on doit
Et toujours la même chemise
Que l'angoisse trempe dans l'eau.
Ils peuvent courir.
Pas si bête.
Cette nuit je pique une tête
Dans la mer de Monte-Carlo.
Monte-Carlo.
3) Toréador (1918 -
texte de Jean Cocteau)
3.1) Lettre de Jean Cocteau
à Francis Poulenc sur ce texte :
16 octobre 1918
Mon cher Poulenc,
Vous avez "Toréador". Ouf ! Hier réunion au
Vieux-Colombier.
Bathori et musiciens. La séance est décidée. A
bientôt, retraite, et la retraite finale de Music-Hall. J'aimerais
mieux vous la voir faire que des choses d'entracte. l'entracte
étant consacré à la musique d'ameublement.
Répondez vite à ce sujet.
La mélodie ne doit pas être aussi bien que du Chabrier, il
faut la faire bien mais moche. (...)
Du reste, faites-la selon votre coeur, car l'ironie serait
déplacée dans un "hommage au Music-Hall".
Informez-vous de l'orchestre auprès de Duery, et prévenez
tout de suite Bathori-Straram de votre ritournelle batterie
Enfin travaillez, la paix approche.
JC
3.2) Commentaires de Francis
Poulenc
Toréador, chanson
hispano-italienne de Jean Cocteau
Bernac prétend que je chante cette mélodie - pardon,
cette chanson - comme personne. C'est dire assez que la voix ne compte
pas pour l'interprétation de cette plaisanterie musicale et que
les "oins oins" qui sortent de mon nez, qui n'est pas grec, suffisent
pour divertir les personnes auxquelles je la destine.
le texte de Cocteau a été écrit en 1917. Pierre
Bertin à cette époque, aidé par un groupe de
musiciens, d'érivains et de peintres (Satie, Auric, Honegger,
moi-même, Cocteau, Max Jacob, Cendrars, La Fresnaye, Kisling,
Derain, Fauconnet), voulait donner, au Vieux-Colombier, une série
de spectacles-concerts dans un style Bobino supérieur. Ce projet
n'eut pas de lendemain. Disons tout de suite que c'était le
début de cette confusion des genres qui, hélas, ne s'est
que trop longtemps prolongée (jusqu'à la présente
guerre). Chacun à sa place : c'est ce que devraient se
répéter sans cesse les artistes soucieux de leur standing.
(Telle opérette de Roussel et tel poème symphonique de
Maurice Yvain se rejoignent dans la nullité. Ne vaut pas Scotto.)
Toréador, je dois
l'avouer, appartien à ce genre hybride. Une Marie Dubas, qui fait
trépigner la salle de l'Empier avec Pedro, endosserait, j'en suis
certain, une belle veste en présentant à ce même
public Toréador. Toréador, caricature de la
chanson de music-hall, ne peut donc s'adresser qu'à une
élite restreinte. C'est exactement le type de la chanson faite
pour rire, autour d'un piano, quelques amis à la page. je ne
donne pas longtemps pour que le cabaret littéraire (style
Agnès Capri) devienne intolérable, comme tous les genres
faux.
Ceci dit, j'aime beaucoup Toréador.
Longtemps inédit, je me suis décidé à le
publier aux environs de 1932, sur le conseil de mon cher vieil ami
Jacques-Emile Blanche. Ce parrainage en dit long sur le
côté littéraire de l'oeuvre et sur le public auquel
on peut prétendre.
3.3) Le texte...
Pépita reine de Venise
Quand tu vas sous ton mirador
Tous les gondoliers se disent:
Prends garde... Toréador!
Sur ton coeur personne ne règne
Dans le grand palais ou tu dors
Et près de toi la vieille duègne
Guette le Toréador.
Toréador brave des braves
Lorsque sur la place Saint marc
Le taureau en fureur qui bave
Tombe tué par ton poignard.
Ce n'est pas l'orgueil qui caresse
Ton coeur sous la baouta d'or
Car pour une jeune déesse
Tu brûles toréador.
Belle Espagnole
Dans ta gondole
Tu caracoles
Carmencita
Sous ta mantille
Oeil qui pétille
Bouche qui brille
C'est Pépita.
C'est demain jour de Saint Escure
Qu'aura lieu le combat à mort
Le canal est plein de voitures
Fêtant le Toréador!
De Venise plus d'une belle
Palpite pour savoir ton sort
Mais tu méprises leurs dentelles
Tu souffres Toréador.
Car ne voyant pas apparaître.
Caché derrière un oranger,
Pépita seule à sa fenêtre
Tu médites de te venger,
Sous ton caftan passe ta dague
La jalousie au coeur te mord
Et seul avec le bruit des vagues
Tu pleures toréador.
Belle Espagnole
Dans ta gondole
Tu caracoles
Carmencita
Sous ta mantille
Oeil qui pétille
Bouche qui brille
C'est Pépita.
Que de cavaliers! que de monde!
Remplit l'arène jusqu'au bord
On vient de cent lieues à la ronde
T'acclamer Toréador!
C'est fait il entre dans l'arène
Avec plus de flegme qu'un lord.
Mais il peut avancer a peine
Le pauvre Toréador.
Il ne reste à son rêve morne
Que de mourir sous tous les yeux
En sentant pénétrer des cornes
Dans son triste front soucieux
Car Pépita se montre assise
Offrant son regard et son corps
Au plus vieux doge de Venise
Et rit du toréador.
Belle Espagnole
Dans ta gondole
Tu caracoles
Carmencita
Sous ta mantille
Oeil qui pétille
Bouche qui brille
C'est Pépita.
4) Le Bal Masqué (1932
- Texte de Max jacob)
4.1) Commentaire de Francis
Poulenc
un jour qu'à Noizay j'étais de mauvaise humeur, Jacques
Février me conseilla de jouer le
Bal masqué en me disant : "tu verras, je te connais, cela
ira mieux après".
Comme le cher garçon avait raison ! C'est vrai, le Bal masqué me
désarme. J'ai pour lui (toutes les tendresses, ) toutes les
indulgences. Je suis certain qu'on n'aime pas véritablement ma
musique si on le méconnait. C'est du Poulenc à cent pour
cent. A une dame du Kamtchatka qui m'écrirait pour me demander
comment je suis fait, je lui enverrais mon portrait au piano par
Cocteau, mon portrait par Bérard, le Bal masqué et les Motets pour un temps de pénitence.
Je crois qu'elle se ferait ainsi une idée très exacte de
Poulenc-Janus.
Le Bal masqué a
été composé pour un "spectacle concert"
organisé en 1932 au théâtre d'Hyères par mes
amis Charles de Noailles. J'avais pour eux, en 1929, Aubade, dans la mélancolie
et l'angoisse; je voulais cette fois prendre une joyeuse revanche.
Dès l'automne 1931, j'établis le plan de cette cantate
profane. Je n'avais que l'embarras du choix dans toute l'oeuvre
bouffonne de Max Jacob.
Depuis longtemps "le Comte d'Artois" qui fait, sur un toit, son compte
d'ardoises" me clignait de l'oeil et le "réparateur perclus de
vieux automobiles" me fascinait. J'adoptai le premier pour l'air de
bravoure et le dernier pour le final.
"Malvina" et "la Dame aveugle", qui complètent la partie vocale,
sont peintes d'après nature. La première "se tirebouchonne
comme une valse tzigane", minaude, joue à la duchesse, le petit
doigt en l'air, va au bal en bas bleu, ce qui lui est fatal; on lui
parle de Nietzsche alors qu'elle aspirait simplement à être
prise à la hussarde.
Qui de nous n'a pas connu de telles prétentiardes, victimes de
leurs concepts. J'ai beaucoup pensé, en écrivant "la dame
aveugle", à une étonnante grosse rentière qui
hantait, aux environs de 1912, l'île de Beauté à
Nogent-sur-Marne.
Elle habitait un chalet mi-suisse, mi-normand et passait ses
journéees à faire des réussites assise sur son
perron, vêtue d'une robe de soie noire. Dans un fauteuil de rotin,
à quelques pas d'elle, une manière de Landru, avec
binocle, casquette de cycliste, lisait son journal. En découvrant
dans Laboratoire Central le
poème de Max Jacob, j'ai eu absolument l'impression de retrouver
une vieille photo dans un album de campagne.
En écrivant le Bal
masqué, je parlais donc de choses que je connaissais. Il
fallait maintenant trouver une optique spéciale pour faire passer
la rampe à tout ce carnaval.
C'est la seul de mes oeuvres où je pense avoir trouvé le
moyen de magnifier une atmosphère banlieusarde qui m'est
chère. Ceci grâce aux mots de Max, pleins de ricochets
imprévus, et à la matière instrumentale que j'ai
employée.
Ici , la couleur souligne
l'emphatique, le ridicule, le pitoyable, le terrifiant. C'est
l'atmosphère des crimes en chromo du "Petit Parisien" des
dimanches de mon enfance.
"Quelle horreur !" s'écriait à cette époque la
cuisinère de ma grand-mère, "encore un type qui a
assassiné sa belle-soeur". Il se pourrait que la dame aveugle ait
subi le même sort. (Pour toutes ces raisons spécifiquement
françaises,, ) j'ai cru pendant longtemps que le Bal masqué ne franchirait
pas les frontières, jusqu'au jour où le public de
Genève, en trépignant, a hurlé "bis" pour le final!
Je suis certain maintenant que lpus une oeuvre est authentiquement
nationale, plus elle touche l'étranger. Le public, bien entendu,
ne saisit pas toutes les nuances, mais perçoit, dans l'ensemble,
la valeur ethnique de l'oeuvre.
Pour l'interprétation du Bal,
je redirai ce que j'ai tant de fois écrit au cours de ce Journal : le chanteur doit croire avant tout aux mots qu'il
débite. Pas de réticences, pas de faux airs entendus, pas
de clins d'oeil complices.
Gilbert Moryn, qui a créé cette ouvre, y était de
premier ordre. Il n'aurait pas chanté Scarpia avec plus de
conviction et plus de sérieux.
Le final doit être ahurissant et presque terrifiant. C'est la
clef de l'oeuvre et, pour moi, un portrait exact de Max jacob par
liu-même, tel que je l'ai connu lorsuq'il habitait la rue
Gabrielle, à Montmartre en 1920. La partie de piano du Balest capitale. Il faut la jouer
en virtuose avec une palette très variée. Il faut mettre
la pédale abondamment mais avec beaucoup de soin. Les rythmes ,
lents ou vifs, sont implacables.
Au bout de vingt minutes que dure le Bal
masqué, le public doit être stupéfait et
diverti comme les gens qui descendent d'un manège de la Foire du
Trône.
4.2) Air de bravoure
Madame la Dauphine,
Fine, fine, fine, fine, fine, fine,
Fine, fine, fine, fine.
Ne verra pas, ne verra pas le beau film
Qu'on y a fait tirer les vers du nez
Car on l'a mené en terre avec son premier-né
En terre et à Nanterre
Où elle est enterrée.
Quand un paysan de Chine
Chine, Chine, Chine, Chine
Veut avoir des primeurs
Il va chez l'imprimeur
Ou bien chez sa voisine
Shin, Shin, Shin, Shin, Shin, Shin,
Tous les paysans de la Chine
Les avaient épiés
Pour leur mettre des bottines
Tine! tine!
Ils leurs coupent les pieds.
M. le comte d'Artois
Est monté sur le toit
Faire un compte d'ardoise
Toi, toi, toi, toi,
Et voir par la lunette
Nette! nette! pour voir si la lune est
Plus grosse que le doigt.
Un vapeur et sa cargaison
Son, son, son, son, son, son,
Ont échoué contre la maison.
Son, son, son, son,
Chipons de la graisse d'oie
Doye, doye, doye,
Pour en faire des canons.
4.3 ) Malvina
Voilà qui j'espère vous effraie
Mademoiselle Malvina ne quitte plus son éventail
Depuis qu'elle est morte.
Son gant gris perle est étoilé d'or.
Elle se tirebouchonne comme une valse tzigane
Elle vient mourir d'amour à ta porte
Près du grès où l'on met les cannes.
Disons qu'elle est morte du diabète
Morte du gros parfum qui lui penchait le cou.
Oh! l'honnête animal! si chaste et si peu fou!
Moins gourmet que gourmande elle était de sang-lourd
Agrégé ès lettres et chargée de cours
C'était en chapeau haut qu'on lui faisait la cour
Or, on ne l'aurait eue qu'à la méthode hussarde
Malvina, ô fantôme, que Dieu te garde!
4.4) La dame aveugle
La dame aveugle dont les yeux saignent choisi ses mots
Elle ne parle à personne de ses maux
Elle a des cheveux pareils à la mousse
Elle porte des bijoux et des pierreries rousses.
La dame grasse et aveugle dont les yeux saignent
Écrit des lettres polies avec marges et interlignes
Elle prend garde aux plis de sa robe de peluche
Et s'efforce de faire quelque chose de plus
Et si je ne mentionne pas son beau-frère
C'est qu'ici ce jeune homme n'est pas en honneur
Car il s'enivre et fait s'enivrer l'aveugle
Qui rit, qui rit alors et beugle.
4.5) Final
Réparateur perclus de vieux automobiles,
L'anachorète hélas a regagné son nid,
Par ma barbe je suis trop vieillard pour Paris,
L'angle de tes maisons m'entre dans les chevilles.
Mon gilet quadrillé a, dit-on, l'air étrusque
Et mon chapeau marron va mal avec mes frusques.
Avis! c'est un placard qu'on a mis sur ma porte.
Dans ce logis tout sent la peau de chèvre morte.
5) Métamorphoses (1943
- Texte de Louise de Vilmorin)
5.1) Commentaire de Poulenc
(Ce sont les dernières mélodies que Jean de Polignac ait
entendues. J'évoque avec émotion le salon de Louise de
Vilmorin où je les ai jouées, en août 1943. On
retrouvera le nom de Jean de Polignac au début de "Fêtes
Galantes". J'ai achevé cette mélodie à la veille de
sa mort, à Noizay, ne me doutant pas de sa fin si proche.
Nombreuses (près de quinze) sont les mélodies que j'ai
dédiées à sa femme. Chaque musicien a un groupe
d'amis intimes qui constituent pour lui une manière de salon. Le
salon Saint-Marceaux était naguère celui de
Fauré-Messager. Les salons Lerolle-Chausson-Rouart ceux de
Debussy. Ceux de Paul Clemenceau, de Misia Ser et de Cipa Godebski les
salons de Ravel. Les salon de la Princesse Edmond de Polignac, celui de
Chabrier, Fauré, Strawinsky, etc. Lié depuis plus de
vingt-cinq ans d'une indissoluble amitié avec Jean et
Marie-Blanche de Polignac, je ne me sens jamais plus libre musicalement
que devant leurs pianos.
Il serait tout à fait injuste que je ne parle pas ici d'une
maison où j'ai composé Aubade,
celle de Mari-Laure de Noailles, où j'ai également tant
de fois montré pour la première fois mes oeuvres à
Auric, Février, et , tout récemment, Figure humaine à Eluard et
Picasso. Seulement, du fait de l'extraordinaire culture picturale de
Marie-Laure, la Place des Etats-Unis symbolise pour moi la peinture - et
Dieu sait si j'aime la peinture - tandis que la rue Barbet de Jouy
demeure la maison de la musique. L'une (Marie-Laure) parle d'Antonelle
de Messine comme d'un vieil ami; l'autre, Marie-Blanche, de Monteverdi
comme d'un musicien vivant.
Tout cela m'éloigne des Métamorphoses,
mais je n'ai pas grand chose à en dire.) Chanter "Reine des
mouettes" très vite et "C'est ainsi que tu es" surtout sans
afféterie.
(La dernière, "Paganini", est une mélodie très
médiocre, mais utile dans un numéro pour servir de trempli
à une mélodie lyrique. "C", je l'ai
expérimenté souvent, fait beaucoup d'effet à sa
suite. Voici d'ailleurs l'ordre du numéro le jour de la
première audition, en 1943 :
a Tu vois le feu du soir b Métamorphoses c C- Fêtes galantes
Les Métamorphoses,
comme les Trois poèmes
de Louise de Vilmorin (Durand), sont trop elliptiques pour former un
groupe à eux seuls. Il en est de même pour les Lalanne)
5.2) Reine des mouettes
Reine des mouettes, mon orpheline,
Je t'ai vue rose, je m'en souviens,
Sous les brumes mousselines
De ton deuil ancien.
Rose d'aimer le baiser qui chagrine
Tu te laissais accorder à mes mains
Sous les brumes mousselines
Voiles de nos liens.
Rougis, rougis, mon baiser te devine
Mouette prise aux nœuds des grands chemins.
Reine des mouettes, mon orpheline,
Tu étais rose accordée à mes mains
Rose sous les mousselines
Et je m'en souviens.
5.3) C'est ainsi que tu es
Ta chair, d'âme mêlée,
Chevelure emmêlée,
Ton pied courant le temps,
Ton ombre qui s'étend
Et murmure à ma tempe,
Voilà, c'est ton portrait,
C'est ainsi que tu es,
Et je veux te l'écrire
Pour que la nuit venue,
Tu puisses croire et dire,
Que je t'ai bien connue.
5.4) Paganini
Violon hippocampe et sirène
Berceau des cœurs cœur et berceau
Larmes de Marie Madeleine
Soupir d'une Reine
Echo
Violon orgueil des mains légères
Départ à cheval sur les eaux
Amour chevauchant le mystère
Voleur en prière
Oiseau
Violon femme morganatique
Chat botté courant la forêt
Puit des vérités lunatiques
Confession publique
Corset
Violon alcool de l'âme en peine
Préférence muscle de soir
Épaules des saisons soudaines
Feuille de chêne
Miroir
Violon chevalier du silence
Jouet évadé du bonheur
Poitrine des milles présences
Bateau de plaisance
Chasseur.
6) Parisiana (Texte de Max
Jacob) FP 157
6.1) Commentaire de Francis Poulenc
6.2) Jouer du bugle
Les trois dames qui jouaient du bugle
tard dans leur salle de bains
ont pour maître un certain mufle
qui n'est là que le matin.
L'enfant blond qui prend des crabes
des crabes avec la main
ne dit pas une syllabe
c'est un fils adultérin !
Trois mères pour cet enfant chauve
Une seule suffisait bien !
Le père est nabab mais pauvre
il le traite comme un chien.
Coeur des muses
Tu m'aveugles
C'est moi qu'on voit jouer du bugle
au pont d'Iéna le dimanche
un écriteau sur la manche.
6.3) Vous n'écrivez
plus ?
M'as-tu connu marchand d'journaux
A Barbès et sous l'métro
Pour insister vers l'institut
Il me faudrait de la vertu
Mes romans n'ont ni rangs ni ronds
Et je n'ai pas de caractères
M'as-tu connu marchand d'marrons
Au coin de la rue Coquillière
Tablier rendu, l'autre est vert !
M'as-tu connu marchand d'tickets
Balayeur de double-vé-cé
Je le dis sans fiel ni malice
Aide à la foire au pain d'épice
Défenseur au juge de paix
Officier, comme on dit office
Au Richelieu et à la Paix.
7) Chansons gaillardes
(Textes anonymes du XVIIème siècle) FP 42
7.1) La maîtresse volage
Ma maîtresse est volage,
Mon rival est heureux;
S'il a son pucellage,
C'est qu'elle en avait deux.
Et vogue la galère,
Tant qu'elle pourra voguer.
7.2) Chanson à boire
Les rois d'Egypte et de Syrie,
Voulaient qu'on embaumât leurs corps,
Pour durer plus longtemps morts.
Quelle folie!
Buvons donc selon notre envie,
Il faut boire et reboire encore.
Buvons donc toute notre vie,
Embaumons-nous avant la mort.
Embaumons-nous;
Que ce baume est doux.
7.3) Madrigal
Vous êtes belle come un ange,
Douce comme un petit mouton;
Il n'est point de coeur, Jeanneton,
Qui sous votre loi ne se range.
Mais une fille sans têtons
Est une perdrix sans orange.
7.4) Invocation aux Parques
Je jure, tant que je vivrai,
De vous aimer, Sylvie.
Parques, qui dans vos mains tenez
Le fil de notre vie,
Allongez, tant que vous pourrez,
Le mien, je vous en prie.
7.5)Couplets bachiques
Je suis tant que dure le jour
Et grave et badin tour à tour.
Quand je vois un flacon sans vin,
Je suis grave, je suis grave,
Est-il tout plein, je suis badin.
Je suis tant que dure le jour
Et grave et badin tour à tour.
Quand ma femme dort1 au lit,
Je suis sage, je suis sage,
Quand ma femmme dort1 au lit
Je suis sage toute la nuit.
Si catin au lit me tient
Alors je suis badin
Ah! belle hôtesse, versez-moi du vin
Je suis badin, badin, badin.
1 ou : "me tient"
7.6) L'offrande
Au dieu d'Amour une pucelle
Offrit un jour une chandelle,
Pour en obtenir un amant.
Le dieu sourit de sa demande
Et lui dit: Belle en attendant
Servez-vous toujours de l'offrande.
7.7) La belle jeunesse
Il faut s'aimer toujours
Et ne s'épouser guère.
Il faut faire l'amour
Sans curé ni notaire.
Cessez, messieurs, d'être épouseurs,
Ne visez qu'aux tirelires,
Ne visez qu'aux tourelours,
Cessez, messieurs, d'être épouseurs,
Ne visez qu'aux coeurs
Cessez, messieurs, d'être épouseurs,
Holà messieurs, ne visez plus qu'aux coeurs.
Pourquoi se marier,
Quand la femme des autres
Ne se font pas prier
Pour devenir les nôtres.
Quand leurs ardeurs,
Quand leurs faveurs,
Cherchent nos tirelires,
Cherchent nos tourelours,
Cherchent nos coeurs.
7.8) Sérénade
Avec une si belle main,
Que servent tant de charmes,
Que vous tenez du dieu malin,
Bien manier les armes.
Et quand cet Enfant est chagrin
Bien essuyer ses larmes.
8) Chansons villageoises
FP117 (1942, texte de Maurice Fombeure 1906-1981)
8.1) Chanson du clair tamis
Où le bedeau a passé
Dans les papaveracées
Où le bedeau a passé
Passera le marguiller
Notre vidame est mort
Les jolis yeux l'ont tué
Pleurons son heureux sort
En terre et enterré
Et la croix de Lorraine sur son pourpoint doré
Ils l'ont couché dans l'herbe
Son grand sabre dessous
Un oiseau dans les branches
A crié : "Coucou"
C'est demain dimanche
C'est fête chez nous
Au son de la clarinette
Le piston par en-dessous
La piquette, la musette
Les plus vieux sont les plus saoûls
Grand'mère à cloche lunettes
Sur ses jambes de vingt ans
Sur ses jambes de vingt ans
Vienne le printemps mignonne
Vienne le printemps
Où la grenouille a passé
Sous les renonculacées
Où la grenouille a passé
Passera le scarabée.
8.2) Les gars qui vont
à la fête
Les gars qui vont à la fête
Ont mis la fleur au chapeau
Pour y boire chopinette
Y goûter le vin nouveau
Y tirer la carabine
Y sucer le berlingot
Les gars qui vont à la fête
Ont mis la fleur au chapeau
Sont rasés à la cuiller
Sont raclés dessous la peau
Ont passé la blouse neuve
Le faux col en cellulo
Les gars qui vont à la fête
Ont mis la fleur au chapeau
Les gars qui vont à la fête
Ont mis la fleur au chapeau
Y fair' danser les filles
Chez Julien le violoneur
Des polkas et des quadrilles
Et le pas des patineurs
Le piston, la clarinette
Attendrissent les costauds
Attendrissent les costauds
Les gars qui vont à la fête
Ont mis la fleur au chapeau
Quand ils ont bu,
se disputent
Et se cognent sur la peau
Puis vont culbuter les filles
Au fossé sous les ormeaux
Les gars qui vont à la fête
Ont mis la fleur au chapeau
Reboivent puis se rebattent
Jusqu'au chant du premier jô
Le lendemain, on en trouve :
Sont couchés dans le ruisseau
Les gars qui vont à la fête
Ont mis la fleur au chapeau
Les gars qui vont à la fêt'
Chapeau.
8.3) C'est le joli printemps
C'est le joli printemps
Qui fait sortir les filles
C'est le joli printemps
Qui fait briller le temps
J'y vais à la fontaine
C'estle joli printemps
Trouver celle qui m'aime
Celle que j'aime tant
C'est dans le mois d'avril
Qu'on promet pour longtemps
C'est le joli printemps
Qui fait sortir les filles
La fille et le galant
Pour danser le quadrille
C'est le joli printemps
Qui fait briller le temps
Aussi profitez-en
Jeunes gens, jeunes filles
C'est le joli printemps
Qui fait briller le temps
Car le joli printemps
C'est le temps d'une aiguille
Car le joli printemps
Ne dure pas longtemps
8.4) Le mendiant
Jean Martn prit sa besace
Vive le passant qui passe
Jean Martin prit sa besace
Son bâton de cornouiller
S'en fut au moutier mendier
Vive le passant qui passe
S'en fut au moutier mendier
S'en fut mendier
Va-t'en dit le mère moine
N'aimons pas les vanupieds
Va-t'en dit le père moine N'aimons pas les vanupieds
S'en fut en ville mendier
Vive le passant qui passe
Epiciers et taverniers
Qui mangez la soupe grasse
Et qui vous chauffez les pieds
Puis couchez avec vos femmes
Au clair feu de la veillée
Jean Martin l'avez chassé
Vive le passant qiu passe
On l'a trouvé sur la glace
Jean Martin a trépassé
Tremblez les gros et les moines
Vive le passant qui passe
Tremblez ah maudite race
Qui n'avez point de pitié
Un jour prenez garde ô race
Les Jean Martin seront en masse
Aux bâtons de cornouiller
Ils vous crèv'ront la paillasse
Puis il violeront vos garces
Et chausseront vos souliers
Jean Martin Prends ta besace
Ton bâton de cornouiller
Ton bâton de cornouiller.
8.5) Chanson de la fille
frivole
Ah dit la fille frivole
Que le vent y vie y vole
Mes canards vont sur l'étang
Belle lune de printemps
Ah dit la fille frivole
Que le vent y vire y vole
Sous les vergers éclatants
Belle lune de printemps
Ah dit la fille frivole
Que le vent y vire y vole
Et dans les buissons chantants
Belle lune de printemps
Ah dit la fille frivole
Que le vent y vire y vole
Je vais trouver mes amants
Sous lune de printemps
Ah dit la fille frivole
Que le vent y vire y vole
L'âge vient trop vitement
Sous lune de printemps
Ah dit la fille frivole
Que le vent y vire y vole
Plus tard soucis et tourments
Sous lune de printemps
Ah dit la fille frivole
Que le vent y vire y vole
Aujourd'hui guérissez m'en
Belle lune de printemps
Ah dit la fille frivole
Que le vent y vire y vole
Baisez-moi bien tendrement
Sous la lune de printemps
8.6) Le retour du sergent
Le sergent s'en revient de guerre
Les pieds gonflés sifflant du nez
Le sergent s'en revient de guerre
Entre les buissons étonnés
A gagné la croix de Saint-Georges
Les pieds gonflés sifflant du nez
A gagné la croix de Saint-Georges
Son pécule a sous son bonnet
Bourre sa pipe en terre rouge
Les pieds gonflés sifflant du nez
Bourre sa pipe en terre rouge
Puis soudain se met à pleurer.
Il revoit tous ses copains morts
Les pieds gonflés sifflant du nez
Il revoit tous ses copains morts
Qui sont pourris dans les guérets
Ils ne verront plus leur village
Les pieds gonflés sifflant du nez
Ils ne verront plus leur village
Ni le calme bleu des fumées
Les fiancées va marche ou crève
Les pieds gonflés sifflant du nez
Envolées comme dans un rêve
Les copains s'les sont envoyées
Et le sergent verse une larme
Les pieds gonflés sifflant du nez
Et le sergent verse une larme
Le long des buissons étonnés.
9) Le
disparu (Texte de Robert Desnos)
Cette mélodie est aussi appelée "Couplets de la rue
Saint-Martin", qui est le titre donnée par Desnos. Elle fut
dédiée à Henri Sauguet
9.1) Commentaire
(viendra bientôt)
9.2) Le texte
Je n'aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin,
Je n'aime rien, pas même le vin.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu'André Platard l'a quittée.
C'est mon ami, c'est mon copain.
Nous partagions la chambre et le pain.
Je n'aime plus la rue Saint-Martin.
C'est mon ami, c'est mon copain.
Il a disparu un matin,
Ils l'ont emmené, on ne sait plus rien.
On ne l'a plus revu dans la rue Saint-Martin.
Pas la peine d'implorer les saints,
Saints Merri, Jacques, Gervais et Martin,
Pas même Valérien qui se cache sur la colline.
Le temps passe, on ne sait rien.
André Platard a quitté la rue Saint-Martin.